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croissance du PIB

Et si l’on se trompait dans la mesure de la croissance du PIB ?

le 18 février 2019

Et si l’on se trompait dans la mesure de la croissance ? 

Prenons comme point de départ les données chiffrées officielles. Le Produit Intérieur Brut par habitant de la France a progressé (hors inflation) en moyenne de 2.1% chaque année depuis 1890, de 1.2% depuis les années 1980, de 1% depuis les années 1990 et seulement de 0.7% depuis les années 2000.

Cette lecture chronologique nous amène à la conclusion suivante : nous serions confrontés à une chute lente et régulière de la richesse produite par habitant.

Ces données ont suscité de multiples interrogations et de vives controverses entre les statisticiens et les économistes avec, en toile de fond : « Et si l’on se trompait dans la mesure de la croissance ? ».

Le « paradoxe » de SOLOW

L’un des premiers à avoir mis le doigt sur cette éventualité est l’économiste Robert SOLOW, Prix Nobel d’Economie en 1987, dans une phrase, désormais célèbre : « You can see the computer age everywhere, except in the productivity statistics » ; que l’on pourrait traduire ainsi : « vous pouvez constater l’ère informatique partout, à l’exception des statistiques de productivité ».

Les activités innovantes non marchandes génératrices de bien-être ne sont pas prises en compte 

Un argument va dans le sens de l’intuition du Prix Nobel. Le PIB mesure l’activité marchande. Cet indicateur ne prend donc pas en compte les activités hors de la sphère marchande. Prenons un exemple. « Je décide de faire mes courses en ligne et de me faire livrer ». Cette action, aujourd’hui courante, est créatrice de productivité. En effet, je n’ai plus à me déplacer et peux affecter parallèlement mon temps à d’autres activités. Ce gain, n’est pas pris en considération dans le calcul du PIB. Cette constatation peut expliquer (en partie seulement) le paradoxe de SOLOW.

C’est donc une première source de minoration de la croissance qui peut s’avérer significative à l’heure où le commerce en ligne prend une place grandissante dans la vie quotidienne.

Mesure-t-on correctement l’inflation ?

Il existe un second argument qui renforce l’intuition de SOLOW. Quand les statisticiens calculent la croissance, il la détermine en terme « réel », déduction faite du niveau d’inflation. Mais mesure-t-on correctement le niveau de l’inflation ? Pas si sûr. Où est le problème ? Pour le percevoir, prenons un exemple. « Je veux changer mon véhicule, acheté il y a huit ans. Je décide de le remplacer par le même véhicule, mais neuf. Entre ces deux dates, je constate que le prix a augmenté de 5% ». On pourrait dire que l’inflation serait, sur ce produit, de 5%. Cependant, je constate que le véhicule que je viens d’acheter comporte des innovations qui n’existaient pas il y a huit ans et qui améliorent sa qualité et ses performances. C’est le même véhicule, sans être totalement le même.

Mesurer l’amélioration de la qualité dans la mesure de l’inflation 

Pour évaluer l’inflation de manière pertinente, il serait alors nécessaire de soustraire de l’évolution du prix constatée (+5%) la part résultant de l’amélioration de la qualité. Dans la pratique, la solution de cette problématique soulève de nombreuses difficultés et l’on ne sait pas mesurer de manière pertinente l’amélioration de la qualité.

Mesurer la disparition d’un bien et son remplacement par un autre plus innovant 

Le problème est le même quand un produit disparaît purement et simplement du marché pour être remplacé par un autre plus innovant. Pour résoudre ce problème, les statisticiens attribuent au produit nouveau l’évolution moyenne des prix observés sur les produits proches et qui n’ont pas disparu. C’est astucieux. Mais, est-ce exact ? En effet, pour que le produit nouveau s’impose sur le marché, il doit être innovant et surtout moins cher afin de gagner des parts de marché. Si c’est le cas, ce serait contraire à la solution statistique décrite ci-dessus.

A travers ces deux exemples, on pressent que le niveau d’inflation est très certainement surestimé et donc parallèlement que la croissance réelle est très probablement sous-estimée.

Les erreurs de mesure ont un impact de 0.6 point par an sur le niveau de la croissance 

Des travaux effectués aux Etats-Unis, ont essayé d’apprécier l’impact de ces erreurs de calcul sur le niveau de la croissance. Ces travaux parviennent à une conclusion importante. L’impact des erreurs de mesure sur la détermination de la croissance serait de l’ordre de 0.6 point par an (0.6%) sur les trente dernières années qui viennent de s’écouler. Une étude conduite sur le France, conclut à une erreur de 0.5 point par an depuis 1994.

De ce fait, il y a tout lieu de penser que le ralentissement de la croissance constatée depuis les années 2 000 dans de nombreux pays développés (voir le début de notre article), soit en grande partie le résultat d’erreurs de mesure.

Cette piste, qui doit être approfondie, est loin d’être anodine. Elle suggère d’autres erreurs portant cette fois sur les revenus et leur répartition. Nous savons tous à quel point ces sujets sont sensibles dans la période que nous vivons.

 

Pour aller plus loin sur cette question, lire les travaux de : Aghion P, Bergeaud A, Boppart T, Klenow P. J, & Li H. (2017). « Missing growth from creative destruction ». NBER Working Paper 24023. National Bureau of Economic Research

Article rédigé par Michel TERNISIEN
Économiste et rédacteur pour Le Figaro et Les Echos

Marie TRAN

Et si l’on se trompait dans la mesure de la croissance du PIB ?